36

 

L’homme était au bord de l’évanouissement. Des pensées confuses s’échappaient de son esprit à la limite du délire. Astyan comprit qu’ils ne parviendraient pas à le sauver : les plaies étaient trop infectées. Il lui avait fallu une résistance surhumaine pour tenir plus longtemps que ses compagnons.

Les deux Titans se concentrèrent pour occulter la douleur qui irradiait le corps du mourant. Ses traits se détendirent, et un flot de souvenirs lui remonta à la mémoire, passant aussitôt dans l’esprit des demi-dieux. Comme dans un cauchemar, ils revécurent la terrible aventure du rescapé. Il se nommait Horadion. Il était capitaine du bateau de pêche sur lequel ils l’avaient découvert. Son équipage, fort d’une trentaine d’hommes, était spécialisé dans la course au thon, un poisson fort apprécié des Atlantes.

C’était le matin. La pêche avait été bonne. Après quatre jours de campagne en mer, le navire rapportait une cargaison magnifique, malgré les coups de vent sérieux qu’il avait essuyés. Il se trouvait encore à plus de dix milles au large et l’on devinait la ligne bleue de la côte au loin. Dans la vision de l’agonisant, un lourd cargo en provenance de l’est les précédait. La longue tache blanche d’Atlantis, la cité royale à demi bâtie sur l’eau, s’étirait à l’horizon. Les marins, après ces quatre jours de dur labeur, imaginaient déjà la chaleur des tavernes du port, la peau douce des filles, la senteur entêtante des épices, la vigueur bienfaisante de l’alcool de canne à sucre dans leur gorge. Certains évoquaient leurs compagnes et leurs enfants. Depuis toujours, la vie atlantéenne était douce ; rien ne pouvait laisser présager ce qui allait se passer.

Soudain tout avait basculé dans l’horreur absolue. Il y avait eu un éclair inimaginable. Peut-être Horadion avait-il conservé la vue grâce au fait qu’à ce moment précis, il était penché sous le tableau de commande du navire pour y prendre une carte marine. Autour de lui, tout n’avait plus été que lumière. Il s’était protégé comme il avait pu, tandis que ses hommes s’étaient mis à hurler comme des pécaris qu’on égorge.

Lorsqu’il s’était relevé, son acuité visuelle avait diminué de moitié. Tout lui semblait soudain tout sombre, mais il avait vu. Une énorme boule de feu dévorait la cité. Il crut être l’objet d’un cauchemar ; en quelques secondes, la sphère lumineuse engloutit la ville et se répandait déjà sur la mer, soulevant une muraille de vapeur, qui progressait vers eux à une vitesse folle. Devant eux, le lourd cargo marchand fut avalé par le brasier. L’instant d’après, un vacarme effroyable submergea le navire, puissant comme le roulement de mille orages ; une onde de chaleur cuisante l’enveloppa, qui enflamma la proue. Dans un demi-délire, les Titans entrevirent des hommes, les vêtements en feu, qui se jetaient par-dessus bord pour échapper à la fournaise. Lui, Horadion, avait subi une souffrance terrible. Mais une lame monstrueuse avait déferlé sur le navire, et noyé le début d’incendie. Alors, dans un éclair de lucidité, il avait viré de bord pour regagner la haute mer. Le navire, malmené par l’ouragan démentiel, avait pourtant obéi ; les moteurs aux essences d’algue avaient tenu bon. Il fallait s’éloigner au plus vite. Une dizaine de ses compagnons avaient survécu.

Le lendemain seulement étaient apparues les plaques rougeâtres sur la peau, qui rapidement s’étaient transformées en brûlures atroces. Un homme, incapable de résister, s’était tranché les veines. Mais ils devaient tenir ; il leur fallait gagner Hespérya au plus vite, afin de raconter ce qui s’était passé. Peut-être les Titans pourraient-ils faire quelque chose… Horadion n’avait survécu que pour témoigner de l’horreur entrevue. Une horreur sans nom, inexplicable, qui avait englouti en quelques instants, pour une raison inconnue, la très belle cité d’Atlantis sous un déluge de feu.

Un gouffre sombre s’ouvrit dans l’esprit des Titans, qui se retirèrent de la mémoire de l’homme. Il venait de mourir. Kronos, les yeux hagards, se tourna vers Astyan.

— Que s’est-il passé, d’après toi ?

— Une bombe ! grinça le Titan. Une maudite bombe à l’uraan, comme celle de Fa’ankys, mais d’une puissance bien supérieure. Ces pourceaux ne reculent devant rien.

Il se laissa tomber sur un siège, anéanti, les yeux fixés sur le corps du malheureux marin. Enfin il se leva, le prit dans ses bras et se rendit jusqu’au sas, puis il bascula le cadavre sur le pont de son navire.

— Le feu purifie tout, dit-il simplement. Que leurs cendres retournent à la déesse-mère.

Il se concentra à nouveau, et Kronos se joignit à lui. Alors, malgré les lames furieuses qui ballottaient le bateau, celui-ci s’embrasa sous la volonté des deux Titans, réduisant en cendres ses occupants et leur chargement. Une nappe de vapeur se répandit sur les eaux agitées, dissimulant la scène. Puis l’océan reprit ses droits. À l’endroit où quelques instants plus tôt se trouvait le fier navire, il ne subsistait plus qu’une carcasse noircie qui s’enfonçait sous les flots.

Épuisé, Astyan demeura un long moment silencieux, puis s’adressa à Païdras.

— Cap sur Atlantis !

 

Les deux Titans n’échangeaient pas un mot. L’atrocité de la vision surprise dans les souvenirs du pauvre marin leur glaçait le sang. Rien ne pouvait expliquer une telle abjection. Soudain Kronos explosa.

— Mais qui a pu commettre ce crime ? Et pourquoi ? Si les Serpents anéantissent ainsi les royaumes d’Atlantide, il ne leur restera plus rien à conquérir. Tout cela est démentiel.

— Oui ! C’est de la démence. Celui qui a ordonné cette abomination ne peut être qu’un fou.

— Combien y avait-il d’habitants à Atlantis ? demanda Kronos.

— Plus de huit cent mille.

— Peut-être y a-t-il des survivants ?

Astyan ne répondit pas. Ce qu’ils avaient surpris dans l’esprit d’Horadion était terriblement clair.

— Oui, grommela Kronos. Tu as raison. Il serait préférable pour eux qu’ils aient tous péri.

Puis il s’obstina.

— Mais cela ne tient pas debout. Les Serpents ne veulent pas la destruction des Atlantes, seulement l’anéantissement des Titans. Ils désirent conquérir l’Empire. Les pierres de feu leur interdiraient l’exploitation des richesses de l’Atlantide pour de nombreuses générations ! Il s’est produit là-bas quelque chose d’anormal.

 

Astyan prit les commandes de l’aéroglisseur. Il leur fallut trois heures pour parvenir en vue d’Antilla. De violentes perturbations atmosphériques masquaient l’île ; droit devant eux s’élevait une gigantesque colonne de fumée rougeoyante, qui dominait une mer de nuages agitée par de furieux remous. Malgré la distance, l’importance des volutes témoignait de la violence de la tempête. Un élément étonna le Titan.

— Ce ne peut être le reste du champignon atomique, murmura-t-il. L’explosion a eu lieu il y a deux jours. Les vents auraient déjà dû le disperser.

Il dirigea l’appareil vers le cœur de la nuée ardente. En quelques instants, le degré de radioactivité s’éleva de façon vertigineuse. Instantanément les Titans établirent une barrière protectrice autour de l’aéroglisseur. Survolant l’océan de nuages, l’engin s’approcha du pylône rougeoyant. Ils s’aperçurent qu’au-delà de cette première colonne s’en élevaient d’autres, de moindre importance. Un souvenir s’imposa immédiatement à Astyan : l’image d’une explosion similaire, à laquelle il avait assisté quelque six mille ans plus tôt, lorsque le sommet de l’Héphaïs s’était littéralement volatilisé dans l’espace en une fraction de seconde.

— Les volcans. La bombe à l’uraan les a réveillés.

Maintenant la protection mentale de l’engin, ils plongèrent au sein de l’océan de nuées. De violents courants ascendants saisirent l’appareil et le malmenèrent ; il fallut tout le talent de pilote du Titan pour maintenir l’assiette au sein de la tourmente. Quelques instants plus tard, l’aéroglisseur jaillissait sous la couche épaisse de nuages, et survolait l’océan en direction de ce qui peu de temps auparavant était encore le royaume d’Atlantis. L’océan avait pris une teinte étrange, couleur de boue ; des lames hautes comme des falaises le parcouraient en tous sens, dans une pénombre quasi totale, provoquée par la couche épaisse de nuages. Des rafales de pluie et de grêle vinrent frapper la coque de l’appareil. Les Titans durent renforcer la puissance de leur bouclier mental.

— Mais où se trouve la côte ? murmura Kronos, en proie à une émotion violente.

— Il n’y a plus de côte. Atlantis n’existe plus.

Un sentiment de colère l’envahit soudain, qu’il ne chercha même pas à combattre. Rien ne pourrait jamais justifier une telle abjection. À l’endroit où aurait dû se trouver la ville, dont tous deux gardaient une foule de souvenirs en tête, il n’y avait plus que la mer, la mer à l’infini. Atlantis s’était enfoncée sous les flots, et avec elle ses huit cent mille habitants. Çà et là, ils remarquèrent d’innombrables débris flottants, battus par la fureur des flots boueux ; quelques corps, parfois à demi dévorés par les prédateurs marins, requins ou murènes, condamnés eux aussi à brève échéance par les radiations mortelles qui baignaient les lieux.

Enfin une terre apparut au loin – une côte rougeâtre, dévorée par les flammes nées de la colère d’un volcan. De longues coulées de lave se déversaient dans l’océan déchaîné, donnant naissance à d’énormes colonnes de vapeur. L’aéroglisseur survola l’îlot volcanique, d’où toute vie avait disparu.

— Même ici il n’y a aucun survivant, dit enfin Astyan d’une voix sourde. L’explosion a dû déclencher un gigantesque tremblement de terre qui a tout détruit.

— De toute façon, qui pourrait survivre dans cet enfer ?

Ils effectuèrent, par acquit de conscience, plusieurs survols de la région sinistrée. Mais il ne restait plus du merveilleux royaume d’Atlantis que des cendres. Les ruines d’un petit village de pêcheurs apparurent : un rapide sondage mental leur confirma que tous les habitants avaient péri.

 

La mort dans l’âme, Astyan reprit sa route vers Elkhara, le second royaume d’Antilla. Un long silence s’installa. Les deux Titans et l’homme qui les accompagnait gardaient en mémoire le souvenir de la fabuleuse beauté d’Atlantis, de la gentillesse et de l’hospitalité de ses habitants. Tout cela avait été détruit sur le caprice d’un dieu fou, ou de l’un de ses séides. Nulle punition ne serait assez forte pour faire payer un tel crime. En eux la douleur le disputait à la fureur, une rage qui soulevait dans leur cœur un flot de haine leur brûlant les entrailles. Soudain Païdras éclata en sanglots.

— Excusez-moi, Seigneur. Ma sœur habitait ici. Elle avait épousé un Antillien il y a deux ans.

Kronos lui posa la main sur l’épaule, mais ne prononça pas un mot. Qu’aurait-il pu dire ? Malgré les pouvoirs dont il disposait, il se sentait impuissant devant l’horreur de la situation. Et ce qu’ils avaient découvert à Atlantis lui laissait présager le pire pour Elkhara.

 

L’aéroglisseur contourna l’énorme colonne de roches et de poussières incandescentes du volcan principal et fila plein ouest. Aussi loin que la vue pouvait porter, le monde semblait avoir versé dans un chaos apocalyptique total. La plus grande partie d’Antilla s’était enfoncée sous les flots ; les seuls terres encore émergées étaient ravagées par des incendies qui dévoraient les forêts tropicales, combattus par des trombes d’eau. La lave s’écoulant des volcans comme d’immenses vomissures, ou issue des entrailles ouvertes dans la roche, noyait cet univers de cauchemar sous des panaches de brumes épaisses que les vents furieux tordaient en tous sens.

Pourtant peu à peu les brouillards s’espacèrent, la couche de nuages qui masquait le ciel s’éclairait, chassant les ténèbres rougeoyantes nées des volcans.

— On dirait que la partie occidentale de l’île a été épargnée, murmura Kronos.

Comme pour lui donner raison, ils constatèrent que le taux de radioactivité diminuait d’instant en instant. Les vents d’ouest emportaient la nuée létale vers l’orient. Enfin, après avoir franchi une lande désolée, ravagée par des vagues de feu, une chaîne de montagne se dressa devant l’appareil, qui semblait avoir protégé le royaume d’Elkhara, où régnaient Quetzal et Ocanaa. Ils la franchirent, traversant une nouvelle fois l’épaisse barre nuageuse, et jaillirent d’un coup en pleine lumière. Très loin vers l’est, les colonnes nées des volcans se déformaient, s’inclinaient sous l’action des vents avec une lenteur majestueuse et terrifiante. D’énormes panaches de pierres et de cendres retombaient dans un silence effrayant vers la mer de nuages, où ils provoqueraient des pluies de boue, des torrents dévastateurs qui achèveraient d’emporter ce qui restait d’Atlantis.

 

Au-delà de la chaîne de montagnes s’étendait une immense forêt tropicale qui rejoignait la côte où se dressait la capitale du royaume le plus occidental de l’Empire. Se rapprochant à nouveau du sol, les Titans remarquèrent qu’une série de tremblements de terre avaient ouvert des failles énormes dans le sol. Repérant un village, ils constatèrent que les habitants avaient fui, emportant avec eux le strict minimum. Les demeures étaient laissées à l’abandon. Quelques animaux domestiques erraient dans les ruelles, livrés à eux-mêmes. Des cadavres jonchaient le sol. Plus loin, une longue colonne humaine s’étirait sur une piste menant vers l’océan, en direction d’Elkhara.

Bientôt la capitale fut en vue. C’était une cité magnifique, surnommée la « Ville-Joyau », en raison des innombrables vitraux de verre colorés qui décoraient les demeures. Comme à Poséidonia, nombre de toits étaient recouverts d’or. De loin, elle ne paraissait pas avoir souffert du cataclysme qui avait englouti Atlantis. Pourtant, lorsque l’aéroglisseur perdit de l’altitude, les Titans constatèrent d’innombrables traces de combats et d’incendies. Des demeures s’étaient effondrées, visiblement détruites par de gros projectiles. La population était en effervescence.

Astyan dirigea son appareil vers le palais princier et se posa sur l’esplanade d’atterrissage. Dès qu’ils sortirent de la nef, quelques silhouettes apparurent dans le parc contigu ; d’autres surgirent de l’intérieur du palais. Un mélange de crainte et d’hostilité émanait de tous les esprits présents, qui saisit les demi-dieux comme une vague glaciale.

Une jeune femme s’avança vers eux, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Ils la reconnurent immédiatement : Pléionée, la fille aînée d’Ocyaan et de Thétys. Dès qu’elle aperçut les deux Titans, elle se précipita dans leurs bras et éclata en sanglots.

— Les dieux sont bons. Ils vous ont conservé la vie.

— Que s’est-il passé ? Où sont tes parents ? demanda Astyan.

— Morts ! Comme Quetzal et Ocanaa. Tués par cette déesse maudite qui se fait appeler Tlazol.

Brièvement, elle expliqua comment, lors de l’inauguration d’un temple bâti en l’honneur des dieux vivants d’Antilla, les quatre Titans régnant sur l’île avaient été anéantis par une boule de feu jaillie de nulle part. Il y avait eu un moment de panique totale ; personne ne comprenait ce qui s’était passé. Puis une femme dont le visage était masqué par une longue calyptra noire avait surgi, entourée d’une cohorte de prêtres revêtus de toges, elles aussi noires.

Elle avait affirmé qu’elle-même était une déesse venue des lointaines colonies orientales, d’où allait surgir un nouveau dieu, Ophius, qui bientôt régnerait sur le monde. Elle avait aussi expliqué que les Titans maintenaient depuis trop longtemps les humains en esclavage, en leur interdisant certains domaines de la connaissance.

Pléionée avait ressenti la haine et l’orgueil démesurés qui habitaient l’âme de cette créature immonde. En entendant les propos de la déesse, la foule s’était révoltée ; alors celle-ci avait manifesté sa puissance. De sa main avait jailli un éclair lumineux de couleur verte qui avait frappé plusieurs hommes, les embrasant comme de l’étoupe. Mais Pléionée avait réagi aussitôt, projetant d’un seul coup toute sa force mentale sur la créature.

— Malheureusement pour elle, grinça-t-elle au milieu de ses larmes, j’ai hérité de certains pouvoirs de mes parents. Je lui ai livré combat ; j’ai concentré mon esprit et j’ai dressé un champ de force afin de protéger les citadins. Je ne sais pas comment j’ai pu trouver la résistance nécessaire ; j’ai cru que mon corps allait exploser, mais je suis malgré tout parvenue à la blesser. J’ignore comment cela s’est fait, mais un rayon vert a jailli de moi et lui a brûlé le visage. Alors ses guerriers l’ont emportée ; ils se sont repliés vers l’aéroglisseur qui les avait amenés, et ils se sont enfuis.

Mais avant de décoller, la déesse maudite s’était retournée vers Pléionée et avait craché des paroles de vengeance et de haine.

— Je revois encore la tête horrible, dégoulinant de sang, de cette monstruosité. Elle a juré de se livrer à de terribles représailles. Mais la population d’Elkhara s’était regroupée autour de moi. Des pêcheurs nous ont rapporté que l’appareil avait rejoint une flotte importante qui attendait au large. Quelques jours plus tard, la flotte est apparue à l’horizon. Nous avons pensé qu’ils se préparaient à attaquer, mais ils sont restés loin des côtes. Nous n’avons pas compris pourquoi. Ils possédaient plus de quatre cents navires, et nous n’en avions qu’une trentaine à leur opposer. Je ne savais quoi faire. Pour le peuple, pour les argontes, j’avais remplacé Quetzal et Ocanaa, et aussi mes parents, puisque je possédais des pouvoirs quasi identiques. Mais j’étais désemparée.

« Nous nous attendions à un assaut imminent. Pourtant, contre toute attente, la flotte ennemie s’est encore éloignée. Alors nous avons vu un projectile noir se diriger vers la cité, et j’ai eu aussitôt le pressentiment que c’était la mort qui venait sur nous. J’ai focalisé mon esprit sur l’objet, et j’ai ressenti les vibrations des pierres de feu : c’était une bombe à l’uraan. Je n’avais aucun moyen d’arrêter sa course. Et puis, j’ai eu l’idée de tenter de faire ce que mes parents m’avaient enseigné, lorsqu’ils avaient constaté que je possédais ces pouvoirs mystérieux. Avant que le projectile ne nous atteigne, je me suis concentrée sur les atomes d’uraan. La bombe est tombée, mais j’ai réussi la transmutation juste au moment où elle allait exploser, et la ville a été sauvée.

« Ce n’était que partie remise. Lorsqu’elle a constaté que son arme n’avait pas fonctionné, Tlazol a lancé sa flotte contre nous. Quetzal et Ocanaa n’avaient pas constitué une défense importante, malgré vos avertissements. Pas plus que mes parents. Ils avaient seulement armé quelques navires ; ils ne croyaient pas vraiment à cette histoire de Serpents. La vie était si douce en Antilla.

Elle ravala ses larmes, puis ajouta :

— Cela leur a coûté la vie. Et peut-être ne pourront-ils plus jamais se réincarner. J’ai examiné la structure de ce temple, et j’ai compris son fonctionnement.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— La ville n’était pas de taille à se défendre contre une telle armada. Alors j’ai focalisé mon énergie mentale pour dresser une muraille liquide entre la flotte et Elkhara. J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai coulé ainsi une douzaine de leurs vaisseaux, qui ont été broyés par les lames de fond que j’avais déclenchées. Tlazol ne s’attendait pas à une telle riposte. Mais elle a utilisé sa propre puissance pour contrer la mienne, et quelques navires sont parvenus à passer, qui ont alors lancé des bombes incendiaires. C’est pourquoi une partie de la ville a été endommagée. Je ne pouvais lutter sur tous les fronts à la fois. Trois de leurs vaisseaux ont atteint la côte. Ils ont déversé sur nous des hordes de créatures monstrueuses, à têtes de crocodiles. Nos gardes les ont combattus à l’aide des lance-éclairs. Ce fut un carnage. Plus d’une centaine des nôtres ont été tués, mais nous sommes parvenus à les repousser.

« Je savais que nous ne pourrions tenir longtemps s’ils réussissaient à forcer mon barrage mental. J’étais épuisée, et l’autre le sentait. C’était comme si je l’avais eue en face de moi. Je voyais son visage défiguré par le feu et la haine.

« Puis soudain, sans raison, ils ont rompu le combat. Tlazol a ordonné à ses navires de se retirer, et la flotte s’est éloignée. J’ai pu la suivre mentalement pendant assez longtemps ; elle se dirigeait vers l’est, vers Atlantis. Je pensais qu’elle voulait attaquer la ville et s’en emparer, mais elle n’en a rien fait. Par la pensée, j’ai vu Tlazol charger une énorme bombe à l’uraan dans son aéroglisseur, et j’ai compris ce qu’elle voulait faire pour assouvir sa vengeance. Hélas ! j’étais trop loin pour tenter quoi que ce soit.

« Alors j’ai vu, par les yeux de mon esprit, ce qui s’est passé. Elle a survolé la cité, puis elle s’est élevée dans les airs et a lâché la mort sur Atlantis. Les habitants n’ont pas dû comprendre ce qui leur arrivait. En un instant, une onde de feu mille fois plus ardente que le soleil a désintégré ma cité. L’onde de choc a provoqué un séisme d’une ampleur inimaginable. Les volcans, endormis depuis des millénaires, se sont réveillés. Et toute la partie orientale d’Antilla a été engloutie sous les flots.

« Ma ville… ma ville n’existe plus, par la faute de cette abomination.

Astyan la serra contre lui. Un long silence s’installa. Pléionée n’avait même plus de larmes à présent. Seule une haine incommensurable habitait son cœur, une haine que partageaient les deux Titans. Il prit la jeune femme par les épaules.

— Pléionée, c’est toi à présent qui es devenue la Titanide de ces royaumes de l’Atlantide. J’ignore comment il se fait que tu aies hérité de pouvoirs aussi importants, mais c’est à eux qu’Elkhara doit d’exister encore.

— Plus pour longtemps, hélas. Cette chienne maudite a déclenché une instabilité tectonique dans toute cette région. Les tremblements de terre se multiplient. Bientôt Elkhara elle-même sera touchée. J’ai sondé les couches internes : elles sont au bord de la rupture. C’est pourquoi je vais essayer d’évacuer les habitants sur les côtes des continents. J’espère seulement que j’aurai le temps de sauver le maximum de personnes.

Comme pour lui donner raison, le sol frémit sous leurs pieds.

— Je crains que d’ici à quelques jours, le royaume d’Elkhara n’existe plus, lui non plus.

Soudain Astyan pâlit.

— Je sais pourquoi la flotte de Tlazol a abandonné le combat alors qu’elle tenait presque la victoire. Elle a reçu un ordre d’Ophius. Les Serpents doivent être en train de regrouper leurs forces pour attaquer les cités dont les Titans n’ont pas été tués. C’est-à-dire Étrusia, Asgarth… et Poséidonia.

Il serra les dents. Ils avaient défié Ashertari et Ophius, ils avaient déjoué leur piège immonde. Poséidonia était la cité la plus peuplée et la plus puissante d’Atlantide. Si elle tombait, les Serpents auraient beau jeu de conquérir la totalité de l’Empire.

— Je dois retourner en Avallon, déclara-t-il.

— Je comprends, dit Pléionée, qui avait suivi son raisonnement. Alors accorde-moi une faveur : anéantis ces vomissures du néant ! Ici, on appelle déjà cette maudite Tlazol[10] : la « Déesse des ordures ». Car elle n’est qu’une immondice vivante.

Astyan et Kronos serrèrent la jeune femme dans leurs bras, puis ils regagnèrent l’aéroglisseur. Il leur en coûtait d’abandonner ainsi les Antilliens à leur sort, mais ils devaient rejoindre les leurs.

Pour se préparer à l’ultime bataille.

L'Archipel Du Soleil
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